Certains portent encore un pantalon de judogi. Mais, hormis les motifs qui reproduisent des techniques de judo sur l’immense baie vitrée du dojo flambant neuf de Châtelaillon-Plage (Charente-Maritime), rien ne laisse présager de la tenue imminente d’un cours de judo. Vêtus de shorts et de tee-shirts pour l’immense majorité, ils sont une grosse trentaine, jeudi 4 décembre, à fouler le tatami de ce petit club en bordure de La Rochelle pour s’adonner au « mixed martial arts » (MMA), une discipline qui mélange divers sports de combat comme la lutte, le judo, la boxe thaïlandaise ou encore le taekwondo, et dont les compétitions sont interdites en France.
Pour les différents ministres des sports qui se sont succédé ces dernières années, tous opposés à sa légalisation, l’organisation de combats dans un octogone grillagé (appelé la cage) et les frappes au sol ont un caractère rédhibitoire. Né des premiers combats sanglants de l’Ultimate Fighting Championship (UFC) au mitan des années 1990, le mixed martial arts a mauvaise presse dans l’Hexagone (« Sport & forme » du 22 mars). Mais, depuis, le MMA s’est doté de règles, arguent ses défenseurs, qui militent pour un « MMA éducatif » sans cage ni frappes au sol. « Notre objectif n’est pas de former des champions qui iront combattre à l’UFC, explique Bertrand Amoussou, président de la Commission française de MMA (CFMMA) et de la Fédération internationale de MMA (Immaf). Nous voulons un cadre légal qui permettrait à nos adhérents de pratiquer en toute sécurité. » Et il y a urgence face à l’afflux toujours plus important d’adeptes, toutes catégories sociales confondues, qui enfilent les mitaines. La société française Dragon bleu, leader mondial de la vente d’équipements de MMA, estime à 30 000 le nombre de pratiquants, répartis dans plus de 700 clubs (salles privées ou clubs de judo).
Ses premiers cours de MMA, Yohan Ruelle les a lancés en septembre 2012, tant par passion que par nécessité. Face à la désaffection de ses adhérents pour le judo, notamment chez les adultes, le professeur du Judo-Club Châtelaillon a trouvé dans cette discipline en vogue un bon moyen de stopper l’hémorragie. « Cette année, dans le cours des cadets, juniors et seniors, je n’ai eu aucun nouveau licencié en judo. Chez les adultes, si on est 20, c’est bien le maximum. A l’inverse, au MMA, c’est d’avoir moins de 30 personnes sur le tapis qui n’est pas normal », explique Yohan Ruelle. Il a même créé une section « strikking MMA » à la rentrée, un cours réservé aux femmes, qui cartonne avec une trentaine de participantes à chaque séance.
« Il y a un engouement pour le MMA, c’est ce que les gens veulent faire maintenant. Les arts martiaux traditionnels sont en fin de vie »
« Il y a un engouement pour le MMA, c’est ce que les gens veulent faire maintenant. Les arts martiaux traditionnels sont en fin de vie », déplore Yohan Ruelle, qui se satisfait malgré tout d’avoir convaincu certains de ses élèves, venus à la base pour le MMA, de rejoindre le maigre bataillon du judo. Une stratégie « gagnant-gagnant pour le club », qui ne plaît pas du tout à la Fédération française de judo (FFJDA), partie en guerre contre ses clubs affiliés qui osent proposer du mixed martial arts.
« Le MMA est criminel. Notre fédération ne veut pas former à des combats sauvages », soutient au Monde Jean-René Girardot, vice-président de la FFJDA. Il a participé à l’élaboration du « mixed ju-jitsu arts » (MJA), la dernière discipline proposée par la FFJDA, qui a reçu délégation du ministère des sports pour contrer le MMA. Dans un rapport confidentiel, M. Girardot « encourage » tous ses clubs affiliés à abandonner l’appellation MMA, « pour lequel il n’existe pas de diplômes », pour celle de MJA, plus acceptable à son goût. « Si les clubs ne veulent pas se conformer, nous aurons des raisons juridiques de les y soumettre », menace M. Girardot, qui n’envisage pourtant pas de faire une quelconque promotion de sa nouvelle discipline. « On ne lancera pas le MJA et il n’apparaîtra pas sur le site Internet de la FFJDA. Nous considérons que c’est une branche du ju-jitsu, qui est une de nos disciplines associées », assure-t-il. En somme, une coquille vide. Quant à la formation des professeurs à cette nouvelle discipline, la réponse est claire : « Pas besoin, ils sont déjà formés. »
« On nous prend pour des jambons, tonne Claude Haberzettel, ancien judoka de l’équipe de France qui a monté un réseau de salles de fitness à Nantes et à Rochefort, Univ’Sports, qui dispensent aussi des disciplines martiales comme le judo et le MMA. Jamais la FFJDA n’a été capable de développer le ju-jitsu traditionnel ou le taïso, qui auraient pu trouver leur public. Et, aujourd’hui, les dirigeants réagissent comme des despotes en nous disant que le MJA va se substituer au MMA. »
« En changeant une lettre, la Fédération française de judo pense que tous les pratiquants de MMA vont se déporter sur le MJA. C’est scandaleux. La FFJDA veut accaparer une discipline, le MMA éducatif, que j’ai personnellement élaborée », s’insurge Bertrand Amoussou, qui a formé plus de 120 moniteurs de MMA en six ans.
Pour les pratiquants de MMA, Jean-Luc Rougé est à l’origine de ce camouflet. Depuis dix ans, le président de la FFJDA mène effectivement bataille contre le MMA, pratiqué selon lui par des « idiots » et des « barbares ». « Ces dernières années, il a maltraité notre discipline, se désole Bertrand Amoussou. Et, maintenant, il obtient une délégation du ministère pour créer le MJA… Nous, en revanche, nous avons structuré le MMA et pas un ministre ne nous a reçus ces dernières années. Jamais personne n’est venu voir ce qui se passait sur le terrain. »
Joint par Le Monde, le secrétaire d’Etat aux sports, Thierry Braillard, campe, lui, sur les mêmes positions que ses prédécesseurs : « Dernièrement, j’ai vu un reportage sur du MMA en Tchétchénie et je n’ai pas envie que ça se passe comme ça en France. C’est une atteinte à la dignité humaine. Cela doit entrer dans le cadre d’une fédération. »
« La raison principale qui a poussé à la création du MJA, on la connaît : comme la FFJDA a perdu beaucoup de licenciés cette année, elle essaye par tous les moyens d’en récupérer », avance Bertrand Amoussou.Nostalgique des années 2000, où elle avait atteint son pic de licences, la quatrième fédération de france revendique toujours, sur ses courriers officiels, 635 000 adhérents. Un chiffre qui ne concorde pas avec la saison 2013-2014, au cours de laquelle elle a enregistré 593 427 licences. Et, visiblement, la chute n’est pas près de s’arrêter, au dire de M. Girardot, qui assure qu’« à l’heure actuelle, la FFJDA est en retard de 15 000 licences ». La faute, selon lui, aux nouveaux rythmes scolaires, qui ont perturbé les activités du mercredi pour les plus jeunes. Un manque à gagner considérable. Et pour cause, aujourd’hui, plus de 80 % des judokas ont moins de 12 ans.
« Dans la réalité, la perte est encore plus sèche », croit savoir Lydia Martins Viana, coprésidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), qui revendique plus de 10 000 licenciés dans sa section judo. Alors que les relations ont toujours été cordiales entre les deux organismes, le ton est subitement monté lors d’une réunion, le 11 juin. « La FFJDA voulait obliger tous nos adhérents à prendre une licence chez eux. C’était abusif », explique Mme Martins Viana. Face au refus des représentants de la FSGT, Jean-Claude Senaud, directeur technique de la FFJDA, a alors menacé par cette pique d’« humour » : « Cette année, nous avons lâché les chiens, la saison prochaine, nous lâchons la meute. »
« La FFJDA paye aujourd’hui sa politique de la licence à tout prix, par tous les moyens. Depuis qu’elle a permis aux enfants de pratiquer le judo dès l’âge de 4 ans, nos clubs sont devenus des garderies. »
Sur le terrain, dans les clubs de province notamment, on tire la sonnette d’alarme depuis longtemps. « La FFJDA paye aujourd’hui sa politique de la licence à tout prix, par tous les moyens, constate Claude Urvoy, 82 ans, fondateur du Dojo brestois. Depuis qu’elle a permis aux enfants de pratiquer le judo dès l’âge de 4 ans, nos clubs sont devenus des garderies. L’effet pervers, c’est que la majorité de ces jeunes ne continuent pas et que les cours d’adultes se vident. Il est grand temps de faire les états généraux du judo. » Au Temple des arts martiaux, à Pontchâteau, dirigé par Claude Haberzettel, même constat. De 180, la section judo s’est réduite à 130 licenciés entre juin et septembre.
Dans ces conditions, le MJA peut-il redresser les effectifs, comme l’espère la FFJDA ? « C’est une farce. Ils vont faire beaucoup de mal au judo », se désole Claude Haberzettel, qui songe « sérieusement » à licencier ses 400 adhérents de la FFJDA à la FSGT. « Seuls les compétiteurs qui veulent faire les épreuves fédérales iront chez eux. Mais il n’y en a plus beaucoup… », assure-t-il. Au dojo de Châtelaillon, on se sait aussi en sursis. « Le MJA, je ne connais pas, réplique Yohan Ruelle. Si la FFJDA nous impose de renommer notre section, nous trouverons une solution et nous ne licencierons plus chez eux. »
La solution, le Judo-Club de Thouars (JCT) l’a trouvée. Menacé de radiation par la FFJDA parce qu’il proposait des cours de MMA, ce club des Deux-Sèvres a modifié ses statuts en créant une section multisport distincte du judo. Une initiative devant laquelle la FFJDA n’a pu que s’incliner et qui a fait des petits. « Beaucoup de clubs font déjà comme nous et il va y en avoir de plus en plus à l’avenir », explique Yann Leroux, le professeur du JCT, qui se démène pourtant afin de faire vivre le judo en conviant de nombreux champions et qui a même embauché à la rentrée un haut gradé (4e dan) venu de l’université de Tenri, au Japon, Yamamoto Kintaro, pour assurer des cours de qualité. « Le problème, se désole-t-il, c’est que le judo, que nous aimons tous, va encore en pâtir. »
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